Stravinsky: L’histoire du Soldat

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Stravinsky: L’histoire du Soldat

Arrangé pour violon, clarinette, piano et percussions par Martin Gölles

  • Liza Martynova | violon
  • Joachim Forlani | clarinette
  • Adalberto M. Riva | piano
  • Antonin Jaccard | percussions
  • Christophe Balissat | récitant

Stravinsky: L’histoire du Soldat (Arr. de Martin Gölles pour violon, clarinette, piano et percussions).

 

Nous sommes ravis de présenter une version unique du chef-d’œuvre d’Igor Stravinsky, magistralement arrangé par Martin Gölles.

Cette œuvre emblématique, initialement composée en 1918, s’inspire d’un conte folklorique russe et a été brillamment adaptée pour un ensemble réduit composé de violon, clarinette, piano et percussions. Cette réinterprétation offre une nouvelle perspective sur cette pièce classique, en la rendant plus accessible pour des ensembles plus compacts tout en préservant la profondeur et la complexité de la composition originale de Stravinsky.

L’arrangement de Martin Gölles parvient à distiller l’essence de la partition originale tout en introduisant une dimension intime et profondément engageante. En se concentrant sur quatre instruments principaux, cet arrangement met en lumière la richesse des dialogues musicaux entre le violon, la clarinette, le piano et les percussions, chaque instrument apportant sa propre couleur et texture à l’ensemble. Cette configuration permet non seulement une plus grande flexibilité dans l’interprétation, mais aussi une connexion plus directe et personnelle avec le public.

La combinaison de narration dramatique et de musique vivante crée une expérience immersive qui plonge l’auditeur au cœur de l’histoire racontée. Chaque performance devient ainsi une occasion unique de redécouvrir « L’Histoire du Soldat », avec des moments où la tension dramatique est palpable et d’autres où une introspection plus subtile prend le devant. Le talent des musiciens et la direction artistique soignée promettent de faire de chaque représentation un événement mémorable, qui reste fidèle à l’esprit novateur de Stravinsky tout en offrant une fraîcheur et une modernité inattendues.

En intégrant ce chef-d’œuvre dans notre programme, nous offrons à notre public une opportunité exceptionnelle de vivre une œuvre classique sous un jour nouveau, enrichie par l’ingéniosité de l’arrangement de Gölles. Ce moment musical ne manquera pas d’enrichir notre saison, en offrant une interprétation qui résonne tant avec les connaisseurs de Stravinsky qu’avec ceux qui découvrent sa musique pour la première fois.

 

 

L’Histoire du Soldat : Mimodrame en deux parties « à lire, jouer et danser » Charles Ferdinand Ramuz (1878-1947), Igor Stravinsky (1882-1971)

 

Dans ses Souvenirs sur Igor Strawinsky [selon l’orthographe ramuzienne] (1927), Charles Ferdinand Ramuz écrivait à propos de la genèse de l’Histoire du Soldat : « […] un jour, non sans naïveté, nous nous étions dit, Strawinsky et moi (en gros) : “[…] Pourquoi ne pas écrire ensemble une pièce qui puisse se passer d’une grande salle, d’un vaste public ; une pièce dont la musique, par exemple, ne comporterait que peu d’instruments, et n’aurait que deux ou trois personnages ?”. C’était en 1918, alors que personne ne savait encore quand la guerre allait finir. De cette situation extrême, les deux hommes, découragés et impécunieux, décidaient de créer l’une des œuvres les plus singulières de l’Histoire de la Musique, bien que de circonstance.

En l’occurrence, il s’agit bien d’une « histoire » et non de pur théâtre comme a pris soin de le souligner Ramuz dont la langue est toujours merveilleusement ciselée. La musique devait suivre son propre chemin, en complète indépendance du texte mais telle une succession de climats parallèles. Le sujet fut emprunté à l’un des contes populaires russes (1855) du folkloriste Alexandre Nikolaïevitch Afanassiev (1826-1871). Dans l’adaptation russo-vaudoise, le Diable, le Soldat Joseph Dupraz et son violon (son âme) devaient occuper le devant de la scène. Stravinsky allait favoriser le trombone et le cornet à pistons – si présents dans les fanfares helvétiques – tout en y ajoutant la grosse caisse, la caisse plate, les tambours et les cymbales.

Dès le départ, dans l’esprit de Ramuz et de Stravinsky, cette « histoire » tenait davantage « de la tradition orale que de l’écrite ». L’introduction des décors, rideaux de scène et costumes s’est aussi immédiatement imposée avec la précieuse collaboration du peintre, décorateur et ami lausannois René Auberjonois (1872-1957), bien qu’assez rétif à la musique de Stravinsky. Ensuite, il fallait trouver le principal interprète qui, d’évidence, fut le chef d’orchestre Ernest Ansermet (1883-1969). Ce dernier disposait d’un petit ensemble de sept instrumentistes (violon, contrebasse, clarinette, basson, cornet à pistons, trombone et percussions) destinés à « accompagner » un Lecteur, le Soldat, le double Diable associé à la clarinette, acteur et mime tout à la fois, et, pour finir, la Princesse, danseuse et muette.

L’action est simple : « un pauvre Soldat, illettré, vend au Diable, sous les traits d’un vieillard, son violon en échange d’un livre qui contient la réponse à toute question posée, mais les trois jours passés avec le Diable pour faire cet échange, sont en réalité trois années. Le Soldat voyant que personne ne le reconnaît plus dans son pays, ni sa mère, ni sa fiancée, décide de demander à son livre la richesse, mais il n’est pas heureux et revient vite à sa vie aventureuse. La fille du Roi, malade, épousera celui qui sera capable de la guérir. Le Soldat se rend au palais royal et y rencontre le Diable avec son violon ; ils le jouent. Le Diable gagne les sous du soldat, mais perd son violon. La Princesse, guérie par les sons de l’instrument, épouse le Soldat, mais le Diable l’attend à la frontière de son pays et quand le Soldat voudra y revenir, le Diable réussira à le prendre et à l’emporter définitivement avec lui ». Le résumé qu’en a fait Ramuz est encore plus significatif : « Le soldat, moins le violon, plus le livre, déchire le livre, rend l’argent, se libère, reprend violon, guérit princesse, serait heureux si voulait pas retrouver jeunesse, ne pas tout avoir, franchit limites … ». Plus loin, il précise sa conception de l’architecture de l’œuvre : « […] le texte et la musique se meuvent au travers l’un de l’autre par des avancements et des reculs successifs […]. Le texte est tantôt lu sur la scène par les acteurs, tantôt joué hors de la scène par le lecteur … ». La conclusion est terrible car le Diable gagne. Il a brisé la communion et tous les liens entre les êtres humains.

La musique de Stravinsky crée une étonnante association de formes diverses telles que la marche militaire, le tango, la valse, le rag-time, le paso doble et d’une façon inattendue, en forme de choral, le Kirchenlied luthérien, Ein feste Burg ist unser Gott (1529). La mélodie et le rythme sont particulièrement valorisés. À propos du choix compositionnel, Ansermet avait raconté cette délicieuse anecdote : « Un jour que nous mangions un peu de saucisson froid sur la terrasse du Café de la Corniche, Ramuz montra à Stravinsky le saucisson en lui disant : “Ne trouveriez-vous pas là un modèle de forme musicale ?” ». Et, le chef d’orchestre de confirmer que « le petit concert de l’Histoire du Soldat, c’est bien un peu ça ».

La première représentation eut lieu, dans le contexte difficile de la grippe espagnole, le samedi 28 septembre 1918, au Théâtre Municipal de Lausanne. Elle avait été soutenue financièrement par le mécène Dr Werner Reinhart (1884-1951), de Winterthour, par ailleurs bon clarinettiste amateur. Ramuz l’avait sollicité en ces termes : « Monsieur, Je vous prie d’excuser la liberté que je prends de vous écrire sans vous connaître, mais le projet que je vous soumets ici me tient si grandement à cœur que je me fais un devoir de vous l’exposer ! Il s’agit d’une “pièce” (au sens très large du mot) à laquelle mes amis, Igor Strawinsky, M. René Auberjonois et moi sommes en train de travailler et qui, d’un genre très nouveau et n’usant que de moyens très simples, me semble destinée, si je m’en réfère aux résultats déjà acquis, à provoquer la plus vive curiosité ».

L’ensemble musical fut naturellement confié à Ansermet, avec la collaboration du géologue Élie Gagnebin (1891-1949), frère du compositeur Henri (1886-1977), en tant que Lecteur – de Jean Villard (1895-1982), pour l’un des deux Diables – de Georges Pitoëff (1920-1990), pour l’autre – du Bellettrien Gabriel Rosset comme Soldat – et de Madame Ludmilla Pitoëff (1895-1951) dans le rôle de la Princesse. La répétition générale avait été riche en incidents grotesques lorsque, par exemple, on a livré une corbeille à lessive en guise de contrebasse.

« La difficulté d’exécution parut terrifiante aux instrumentistes de la création du fait de l’usage imprévu de chaque instrument » comme l’a judicieusement rappelé le musicographe Marcel Marnat. Parmi eux, citons le premier violon belge du tout nouvel Orchestre de la Suisse romande, Fernand Closset (1886-1962), et le clarinettiste italien Edmond Allegra (1889-1939 ?), alors soliste de l’Orchestre de la Tonhalle de Zurich.

Bien plus tard, en 1962, Stravinsky se souviendra de son œuvre en ces termes : « L’Histoire du soldat marque ma rupture définitive avec l’orchestration à la russe au sein de laquelle j’avais été éduqué ». La réception de 1918 fut mitigée du côté des professionnels qui se divisèrent en deux camps bien distincts. Elle a fait l’objet de maints commentaires, ici et là. La foule, curieuse, s’était pressée. Mais, à la fin, elle a manifesté son mécontentement par des sifflets et des huées mêlés à quelques timides applaudissements.

Par son texte qui se suffit à lui-même, Ramuz concluait sa participation aux Cahiers Vaudois avec cet étonnant accomplissement. Toutefois, il faudra attendre quatre années pour voir et réentendre cette « Histoire ». Ce sera à Leipzig en 1922.

En 1919, le compositeur en avait réalisé une suite en cinq mouvements pour violon, clarinette et piano.

Le concert de ce soir présente une version spécialement arrangée pour violon, clarinette, piano et percussions par le compositeur et chef d’orchestre hongrois Martin Gölles, avec Liza Martynova, violon, Joachim Forlani, clarinette, Adalberto M. Riva, piano, Antonin Jaccard, percussions. Christophe Balissat en assure le rôle du narrateur.

 

James Lyon

 

 

 

 

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